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Brève histoire de la chasse à Humanislayadz

L'absence de la truffe

18 Janvier 2019 , Rédigé par Scapildalou

Je sent son absence. Je sent son absence malgré tant de temps à vivre éloigné de son corps fin. Des fois, un froissement, une ombre furtive, quelques bruits de sa vie incompréhensible mais complice me font croire qu'il est là, mais ça fait longtemps que nous ne sommes plus ensemble. Je le revoie chez des amis, des proches, mais ailleurs, cet ailleurs triste sans lui, mon chez-moi, il brille désormais par son absence. Je rencontre ses semblables et je replonge dans l'instant de la présence comme un ancien addicte retombe dans la dépendance.

De nouveau, je revois son regard anxieux et demandeur au moment où il veut monter sur mes genoux, son envie de jouer avec un rien, ou son regard songeur vers le dehors ou un rien soucieux lorsqu'il désire ne pas être dérangé dans son sommeil à venir.

Le chat me manque. Tout me manque dans ses habitudes – changeantes d'ailleurs – dans son poil, son sommeil, ses soupirs, sa dépendance brillant seulement par son contraire exacerbé : son indépendance.

 

*

 

On n'a pas un chat à la maison – et même si à force de le connaître on pourrait dire qu'on 'a' un chat comme on dit 'j'ai un enfant', il ne faut pas oublier que les chats, il y a peu, étaient assimilés à du mobilier. Ainsi, dire 'j'ai un chat' revenait à dire 'j'ai une commode', ou 'j'ai une chaise'. On 'n'a pas' un chat, on vit avec. On vit avec un chat, et le chat vit avec nous. Nous partageons un territoire, un territoire que ne maîtrise pas le chat, il ne choisit pas la maison où nous vivons, mais il s'approprie un terrain qui nous demeurera interdit dès lors qu'il peut sortir. Un chat se construit son territoire.

Le chat est étonnant par sa félinité : un mélange de délicatesse, avec sa façon de rouler de l'arrière train lorsqu'il marche, les hanches ondulant tel un poisson calme. Ses pas agiles et silencieux sur le sol sont distingués, raffinés, travaillés - sans efforts pourtant – comme un signe de sa préciosité. L'animal souple dans son apparence et dans ses gestes, à la fois vif et rêveur, peut tour à tour jouer, flâner, tuer.

Le chat a, au sens littéral, une personnalité. Prenez dix chats tous d'une même portée – où, vu le nombre, de deux portée, mais tous élevés ensemble – chaque chaton aura sa façon d'être au monde, ses préférences, ses habitudes, ses craintes, ses propres réflexes. Et sa façon de miauler. Alors on peut le dire, chaque chat « sonne » (per-sonne) d'un timbre et en fonction de priorités qui lui son propres.

Le chat n'a plus réellement de nature. Dans les anciens temps, les chats vivaient peu en groupe. La vie en commun des chats, en hordes violentes, est en soi une anthropomorphisation de sa condition. Le chat fait partie d'un monde dont le fond ne lui appartient pas totalement ; le rapport aux sons qu'il émet, ses miaulements, se construit en miroir avec le langage humain. Quiconque vit avec un chat, sait comme celui-ci témoigne de sa présence en miaulant, et peut même discuter. Le chat n'a pas accès au langage au sens où les humains y accèdent, mais il a accès à notre monde, à des rapports d'échange par lesquels, il faut bien le dire, il communique – et ce par des miaulement dont notre incompréhension n'a d'égale que l'incompréhension du chat envers nos paroles. Mais ces échanges restent amplement suffisant pour faire vivre un contact dans lequel le chat et son homme témoignent un affection faite de complicités, d'absences, de présences, de caresses et de solitudes.

 

*

 

Les mouvements du chat ont une finesse inconsidérée : lorsqu'il marche, lorsqu'il saute, lorsqu'il dort, lorsqu'il s'étire, lorsqu'il se cache prêt à bondir, lorsqu'il vole et transgresse des règles en toute conscience...

Pour le dire cruement, il y a bien peu d'animal au monde – sinon aucun – qui soit raffiné même lorsqu'il se lèche le trou du cul.

Seuls quelques gestes empotés pourraient donner envie de se moquer de lui – lorsqu'il finit de bailler par exemple, avec des manières de vieux manquant de perdre son dentier par exemple.

 

*

 

Son air inquisiteur dans le lit, lorqu'avec sa truffe humide il vient interroger notre sommeil – il sait qu'on dort et son réveil impromptu nous fait le détester un instant mais la douceur de son poil éloigne bien vite l'envie de le jeter au bas du matelas. Même si c'est le cas, lorsque d'une main on le prend par sa délicate cage thoracique si fine, si plastique, pour le geter de la table sur laquelle, il le sait, il n'a rien à faire, même à ce moment là, il reste gracieux, quoique jouet d'une puissance. Mais au fond, ne joue-t-il pas avec un pouvoir, celui dont on s'estime avoir sur lui, alors que tout en lui nous échappe ?

Comment se conçoit-il ? Comment se rêve-t-il lorsqu'il dort ? Comment son corps lui apparaît-il ? Un chat se reconnaît dans la glace, mais ne prête pas attention à son reflet, son égo n'a guère d'importance – alors qu'il se damnerait si un autre chat venait à s'approcher de sa gamelle. Lorsqu'il se nettoie, et que sa langue vient sur la main qui le caresse, continuant de la lécher sans se rendre compte, ou alors ne faisant plus attention, qu'à cet instant, il ne se nettoie plus.

 

*

 

Pourquoi un chat cauchemarde-t-il ? On imagine pourtant les craintes auquel il fait face dès qu'il sort, et se confronte à ses semblables. Car le chat ne sera jamais agressif envers un humain inconnu, mais il sera dans le combat face à un chat qu'il a pourtant déjà senti. S'imagine-t-il être plus proche de l'humain que de son semblable ? Pourtant il reconnaît un chat et s'attaque à se dernier d'une façon bien différente à la façon dont il attaque un rat, une musaraigne, un chien ou un oiseau. Le chat se reconnaît chat, mais il apprécie les humains comme sa famille d'appartenance. Il nous miaulera comme il ne miaulera pas envers d'autres chat. Il nous considère comme apprivoisés, et non pas comme une proie.

 

*

 

La complicité entre un chat et un homme se construit. Lorsque le chat s'étire au moment où on le caresse, on croirai qu'il sourit (et non pas qu'il sourie, malgré son minois...) Lorsqu'il joue, il attend plus, il se joue, aime être joué – en fonction de sa personnalité. C'est pour cela, à mon sens, qu'il faut jouer avec le chat, car c'est une des rares activité que l'on peut faire en commun avec lui, juste lui et nous. Il sait qui tient la ficelle sur laquelle il se précipite. Il sait qui lui jette la balle sur laquelle il saute. Il sait qui est son complice de jeu et qui l'accompagne au jardin. La complicité du chat se construit dans la confiance, le jeu, et les caresses. La culture du chat correspond, de ce point de vue avec celle de l'homme. Rentrer dans l'humanité par le contact de l'être non-humain, de la douceur et de la délicatesse, seul le chat peut remplir cette mission. Alors on peut le remercier de nous accepter sur son territoire. Un chat de comprend pas « le merci », même si je le suppute de pouvoir comprendre « la merci ». Lorsqu'il s'abandonne au sommeil sur un coussin, au soleil, au chaud sur un capot, il sait qu'il se donne à la merci de son repos. Comment s'étonner du soin qu'il met à choisir sa couche, quand nous-même ne dormons bien que dans un bon lit.

Sauf que le chat aime à changer d'habitudes, aller quelques mois dans son panier, puis dormir dans le lit quelques semaines, avant de préférer le canapé. Le chat est un vagabond délicat.

 

*

 

Le « chat à neuf queues » était un supplice, le chat n'a qu'une queue, et s'il s'en sert pour l'équilibre, c'est parce qu'elle est là, et non l'inverse. Mais s'ils s'en servait uniquement pour ne pas tomber ! Il s'en sert aussi pour témoigner de son affection, une affection toute de propriété - ou de son affliction.

Lorsque le chat aime une chose, une personne, un objet, il enroule un bout de sa queue sur la personne ou l'objet en question. Par là il témoigne de son envie d'être en complète communion, de sa dépendance affective, de son attrait, de sa partition entre ce qu'il aime et ce qu'il est.

Seul, questionné, alors il s'assoie avec la queue enroulée autour de lui, s'étendant jusque sur les griffes de ses pattes avant, comme s'il se paraît d'un châle. Le regard perdu dans le lointain, comment savoir les questions qu'il se pose, le monde dans lequel il se projette. Des fois, ainsi assis, je le voie soupirer, d'un soupir de regret profond. Je me demande alors à quel passé ou quel futur non accompli il pense. Ce mystère me renvoie au mien, à celui que je suis pour lui. Quelle triste question, celle de se demander ce à quoi il pense quand on sait que la pensée est faite de mots et que, partant, il éprouve, mais ne pense pas, au sens littéral. Lorsque je doute, lorsque je n'ai pas envie qu'il vienne sur moi mais qu'il me demande quand même une place sur mes genoux, parce que sans que ni lui ni moi ne sachions pourquoi cette place est bien, alors je repense à ses regards vers le dehors, lorsqu'il est derrière la fenêtre.

Des fois, c'est lui qui m'accepte à son tour à ses côté lorsque sa queue s'enroule autour de son corps, marquant ainsi son replis sur sa propre sphère. On regarde les oiseaux ensemble, les passants, le vide.

Je me rend compte alors que je ne pense plus à trop de chose. Ce doit être pareil pour lui.

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